« Durant mon enlèvement, j’ai appris à résister pour exister »
Le 17 septembre 2018, le père Pier Luigi Maccalli, alors âgé de 57 ans, est enlevé en pleine nuit à son domicile de Bamoanga, village du sud du Niger où il était missionnaire depuis une dizaine d’années. Avec leur victime, les ravisseurs s’enfuient dans le Sahel, cet océan de sables. Épisodiquement, des preuves de sa survie sortent du désert.
En septembre dernier, le membre de la Société des missions africaines comprend que de tractations sont en cours en vue de sa libération. « J’avais toujours un peu de crainte, car c’est comme pour un avion : le décollage et l’atterrissage sont les moments les plus critiques », se souvient-il. Les négociations aboutissent et il est libéré en même temps que d’autres otages, dont la française Sophie Pétronin, qui a dit s’être convertie à l’islam durant sa détention. Lui-même a toujours expliqué à ses geôliers qu’il était disciple de « Issa ibn Maryam » (Jésus Fils de Marie).
Alors que La Croix lui propose de le rencontrer à Rome, il préfère réaliser l’entretien par téléphone. « Je suis un peu sollicité et pas du tout à l’aise avec ce monde de la parole rapide, s’excuse-t-il d’une voix pleine de chaleur. J’aurais aimé plus de silence et de tranquillité. »
Désormais libre de ses mouvements, le prêtre estime être « revenu en famille, mais pas à la maison. J’espère pouvoir revoir la communauté de Bamoanga dans l’année ». Et pour la suite ? « Je suis missionnaire pour toute la vie. Je suis à la disposition de ce que décideront l’Esprit et mes supérieurs. »
Le 17 septembre 2018, vous êtes enlevé en pleine nuit, dans le village du Niger où vous étiez missionnaire depuis onze ans. Quelles sont vos premières pensées alors que vous perdez brusquement la liberté ?
Père Pier Luigi Maccalli : Les premières heures, les premiers jours, j’étais vraiment découragé. J’étais perdu, je ne savais pas ce qui m’arrivait, je ne comprenais pas. Tout se mélangeait, s’entrechoquait dans ma tête. Que se passe-t-il ? Que m’arrive-t-il ? Que veulent-ils ? Au début, je pensais que mes ravisseurs étaient des voleurs, je ne pouvais pas imaginer un enlèvement organisé. Je pensais être libéré rapidement. Mais les jours passaient et j’ai compris qu’il s’agissait d’autre chose.
Le 40e jour après mon enlèvement, ils m’ont fait faire une vidéo, comme preuve de vie. À ce moment-là, j’ai compris que la situation allait durer et qu’il fallait que je prenne la décision de tenir bon. En italien, ma langue maternelle, exister se dit esistere et résister resistere, il n’y a qu’une lettre d’écart. Je suis entré dans cette logique de résister chaque jour pour exister.
Comment résister pour exister quand on est perdu sans repères dans le désert, sans horizon ?
P. P.L.M. : Il s’agit surtout de rester en vie. J’essayais de boire beaucoup, surtout du thé qu’ils préparaient en faisant bouillir de l’eau. Je buvais quatre litres d’eau par jour, davantage même à certains moments. Et je mangeais régulièrement même si les repas n’étaient pas très fournis. Je n’ai jamais souffert de la faim, plutôt de la soif. Alors que mes ravisseurs faisaient le Ramadan, je leur ai expliqué que nous, catholiques, avions le Carême. Mais lorsque ce temps est venu et qu’ils ont vu que je ne jeûnais pas, je leur ai dit que mon effort ne portait pas sur la nourriture mais était d’une autre dimension. J’ai toujours essayé d’alimenter mon corps pour vivre et résister.
Quant à mon esprit, j’ai toujours été lucide et gardé la conscience des jours et des dates. Je comptais les jours, puis les mois. Au début de ma captivité, j’étais avec un autre Italien. On nous avait donné un petit cahier et nous écrivions des petits jeux, comme des mots croisés. On les inventait, l’un les préparait, l’autre remplissait la grille. Le but était de toujours garder l’esprit entraîné.
Vous dîtes avoir compris, après quarante jours dans le désert, que votre détention ne serait pas brève. Avez-vous eu conscience de ce symbole biblique ?
P. P.L.M. : Lorsque après les quarante premiers jours j’ai compris que la route serait longue, j’ai regardé les dunes de sable qui m’entouraient et j’ai pensé au désert biblique. J’ai dit : « Seigneur, toi tu as passé quarante jours au désert, mais ici cela va être bien plus long. Israël est resté quarante ans au désert, mais moi je ne vivrai pas jusque-là. Je t’offre ce temps de désert comme un temps pour moi de redécouvrir ma vocation. »
Dans la Bible, aller au désert c’est toujours retrouver la motivation du début. C’était donc un temps pour renouveler mon alliance. J’avoue que le désert a été pour moi une occasion pour de revoir le film de ma vie et d’entrer dans ce grand silence qui permet d’entrevoir l’existence dans une optique différente, eu égard à la rapidité à laquelle nous sommes habitués aujourd’hui.
Avez-vous pu maintenir une vie de prière au long de votre détention ?
P. P.L.M. : On a fait irruption chez moi en pleine nuit, je n’avais rien d’autre que mon pyjama Je n’ai rien pu emporter avec moi, pas même une Bible ou un bréviaire. Je n’avais donc avec moi que la prière connue par cœur, notamment quelques psaumes, mais j’avais surtout le chapelet. Je récitais chaque jour la prière du Rosaire, en rajoutant par moi-même des mystères qui me mettaient en communion avec les Apôtres, les martyrs, l’Ancien et le Nouveau Testament, mais aussi l’Église et ses différents temps comme l’Avent ou Pâques.
Par ailleurs, Bomoanga -la paroisse où j’étais au Niger- était placée sous le patronage de l’Esprit Saint et j’avais fait inscrire la séquence de Pentecôte sur le mur de l’église que nous avons inaugurée en 2017. Avec la communauté, nous la récitions tous les jours. Pendant ma captivité, j’ai poursuivi cette prière quotidienne.
De plus, j’ai toujours aimé la figure de l’Esprit Saint comme consolateur, dont c’est un des noms. Consoler, cela signifie être avec celui qui est seul. Dans ma solitude, je sentais cette présence, cette compagnie qui me soutenait. Marie et l’Esprit Saint ont été mes compagnons d’espérance.
Vous étiez prêtre et missionnaire, une double vocation que vous ne pouviez plus exercer… Comment avez-vous vécu cette privation ?
P. P.L.M. : Lorsqu’ils m’ont enlevé, mes ravisseurs m’ont entravé les pieds par une chaîne. Pour un missionnaire, être enchaîné, c’était tout un symbole. J’étais prisonnier, dans l’impossibilité d’aller dans les villages où j’allais habituellement. Mais ces chaînes ont libéré ma prière : à ce moment, je me suis rendu compte que mon cœur n’était pas enchaîné.
Je me suis dit que je ferai comme la petite Thérèse de Lisieux, que je ne pouvais compter que sur la prière. Prière pour les périphéries du monde, pour soutenir les pas des missionnaires. Et j’ai décidé que par la prière, j’irai dans ce village d’où j’ai été enlevé pour soutenir la foi de tous. Je me sentais en forte communion avec eux.
Quant à la messe, je ne pouvais pas la célébrer selon le rite, mais j’en ai compris la portée selon une nouvelle profondeur. Chaque jour, je répétais les paroles de la consécration : « Ceci est mon corps, livré pour le monde ». Et je disais : « Seigneur, je n’ai rien d’autre que ma vie à t’offrir. Ceci est mon corps physique et ma vie de missionnaire offerte. »
Je crois que lorsque nous célébrons, ce n’est pas seulement au nom de Jésus-Christ, mais c’est aussi ma vie qui est impliquée dans ce geste, ce rite, cette offrande. Je me disais qu’en tant que missionnaire j’ai donné ma vie pour l’Évangile, pour l’annonce de la Bonne Nouvelle et je me préparais aussi à l’offrir éventuellement dans le geste extrême qui pouvait arriver.
Avez-vous eu peur de mourir ?
P. P.L.M. : Peur ? Non. Je n’avais pas peur, j’étais serein dans mon cœur. Si j’avais été seul, oui j’aurais eu peur ! J’étais complètement perdu au milieu de ce désert, mais je voyais que les ravisseurs savaient s’orienter. J’étais vraiment surpris de leur capacité à maîtriser les lieux, à se repérer, à retrouver d’autres groupes qui nous attendaient.
Au fur et à mesure que les jours passaient, je comprenais qu’ils ne m’avaient pas enlevé dans le but de me tuer. Mais un accident pouvait survenir et lorsque je voyais un petit jeune démonter et nettoyer son arme, je craignais qu’un coup parte à l’improviste et je demandais toujours de s’éloigner ou de tourner le canon du fusil d’un autre côté. Autrement, je m’abandonnais au Seigneur en priant : « Je suis là, et quant à ce qui m’arrivera, que ta volonté soit faite Seigneur ».
Vous avez été privé des vôtres pendant deux ans. La situation n’est, bien sûr, pas la même mais que diriez-vous à ceux qui souffrent de l’isolement ?
P. P.L.M. : Quand je suis arrivé à Rome, j’ai été accueilli par ma famille. Le plus émouvant a été de pouvoir avoir ce contact physique dont j’avais été privé pendant deux ans. Ces deux ans de « confinement » ont été pour moi l’occasion de comprendre l’importance de la famille, de la fraternité, de l’amitié et de pouvoir la vivre de manière physique et non seulement à distance.
À ceux qui souffrent d’isolement, notamment pendant le confinement, je dirais qu’il faut tenir bon, continuer à résister pour exister, ne pas se renfermer. Peut-être que cette expérience nous permettra de découvrir d’autres valeurs plus essentielles, comme l’importance du contact, de la rencontre de l’autre. Nous sommes relation, Dieu est famille et, ensemble, nous vivons. Soit dans cette vie, soit dans l’autre.
Merci pere Luigi. MERCI.
RépondreSupprimerGracias padre Luigi. Gracias por tu ejemplo de fe.