Des nouvelles de Caroline et Bruno, et du projet de Foya

 


Voilà plus de 2 mois que nous sommes arrivés au Libéria. Par cette lettre, nous souhaitons vous donner des nouvelles du projet auquel vous avez contribué. Merci encore au nom des Libériens! Cette occasion d'échange profite bien sûr aux libériens, mais aussi à notre famille sur de nombreux aspects.

 

Le projet de Caroline: faire "monter en compétences" le centre de santé

 

J'ai débuté le lundi 21 août, plutôt calmement puisque c'est la saison creuse aussi ici. Les locaux sont nombreux à travailler la terre: riz et manioc principalement, huile de palme aussi. L'équipe m'a expliqué qu'ils sont trop occupés aux plantations pour pouvoir consulter, sauf les urgences vitales. En effet, les enfants particulièrement, arrivent en état semi comateux. Le motif principal est la "peau chaude" (fièvre), souvent Malaria compliquée de pneumonie, asthme et anémie plus ou moins sévère.

 

Ces premières semaines ont donc surtout été de l'observation pour un état des lieux et des découvertes. Prise de contact avec l'équipe et son organisation, apprentissage pour moi de la médecine tropicale, par exemple des parasites et maladies spécifiques (schistosome mansoni++, ulcère de Buruli et ulcères creusant, lèpre, teignes, etc), prise de notes des quelques protocoles et des habitudes de diagnostic et de prescription (malaria++, Tuberculose, VIH, infections sexuellement transmissibles, "entérite fébrile", hypertension, etc.). J'apprends comment établir (ou non!) un diagnostic sans CRP, ni tous les examens paracliniques dont j'ai l'habitude. C'est assez perturbant, j'ai l'impression de faire une médecine "à l'aveugle". On peut avoir un diagnostic au microscope de malaria ("goutte épaisse") du lundi au vendredi entre 8 et 16h (pas de test rapide en ce moment), et des analyses d'urine et de selles. Il faut aussi se familiariser avec les nombreux acronymes anglophones (trop!) et la hiérarchie au sein du centre mais aussi administrative (aller serrer les mains de tous les responsables du district, comté et autres...)

 

Du côté de la maternité, j'ai pu me libérer pour suivre des accouchements, et pour une réanimation néonatale (une seule). Le suivi des femmes enceintes est mensuel, mais beaucoup accouchent en dehors de notre centre de santé. Soit dans les petits centres de santé "communautaires" (c'est-à-dire de proximité, par faute de temps car pas d'ambulance ni pompier, parfois moto-taxi!) ou ailleurs. Les sages-femmes traditionnelles restent encore très présentes dans les villages et font partie intégrante de la prise en charge maternelle puis de l'enfant aussi.

 

Rangement: avec mon coup d’œil occidental, je n'ai pu m'empêcher de ranger, trier, jeter et laver le centre, pièce par pièce en commençant par les urgences. Un grand ménage qui a permis de libérer de l'espace mais aussi de retrouver du matériel oublié. Je suis surprise du peu de soin apporté aux appareils (piles rouillées, accumulation de poussière, lavage trop agressif ou pas du tout...) et des difficultés de réparation. On achète vite des choses, bon marché du coup, mais pas toujours de bonne qualité. Je suis ravie d'avoir remis des piles dans le pèse-bébé électronique pour la maternité.  Bruno a changé l'ampoule du microscope qui était trop faible, le réparateur spécialisé pour le microscope ne vient jamais jusqu'à Foya. C'est plutôt gratifiant ! Reste à leur apprendre pour qu'ils continuent après nous, tout un challenge.

 

Quelques pistes découlent de cette période.

ce qui est positif et encouragé:

- le centre est bien organisé, chacun sait ce qu'il a à faire et les tâches sont plutôt bien réparties

- la directrice (libérienne qui a travaillé dans une très grosse ONG américaine) est très investie. Elle connaît la culture locale et sait comment manager les équipes, et à la rigueur nécessaire pour gérer les comptes et l'administratif. Je trouve qu'elle a un côté très occidental qui me va bien! (Elle m'a semblé parfois bien fatiguée avec un discours désabusé...)

- les soignants posent très vite et bien les voies veineuses, même sur les nouveaux nés et enfants déshydratés

- le cadre est très agréable, au milieu de la verdure, plantations de manioc et haricots. Calme et rempli d'oiseaux et de leurs chants!

 

Après une visite de l’hôpital de référence du comté, j'ajoute:

- des panneaux solaires bien dimensionnés et pas de coupure électrique (peu de consommation aussi!)

- pour la malaria, nous avons des molécules plus récentes que la Quinine (Artesunate ou au moins Artemeter)

 

Ce qui m'a étonnée et a débouché sur des pistes de travail (à court ou long terme!)

1. l'examen clinique, notamment chez les enfants

Les consultations sont rapides et minimalistes, l'examen clinique est rare. Les patients sont tous gênés quand je demande à les ausculter. Chez l'enfant, c'est indispensable car il ne parle pas. Par exemple, la toux peut être de l'asthme en plus d'une pneumopathie, le diagnostic est clinique et le traitement différent. J'ai eu l'impression qu'on le leur avait déjà dit... mais que la facilité reprend le dessus rapidement? Comme en France.

 

2. la prise en charge de la douleur

J'ai été choqué lors du premier accouchement, du ton accusateur et presque agressif des sages femmes. La jeune patiente de 17 ans (classique ici) était visiblement à bout de force après un travail très long. Elles voulaient l'intimider pour que ça aille plus vite. L'épisiotomie est quasi systématique car il n'y a ni ventouse, ni forceps, ni ambulance pour une césarienne en urgence. Aucune prise en charge de la douleur, même non médicamenteuse. "l'accouchement est naturel, on ne va pas changer ça avec des anti douleurs". Au risque de vous sembler offensante, j'ai eu l'impression de revenir il y a 50 ans en arrière... dans tous les services. Pour les enfants, il n'y a pas de médicament de palier 2 pour la douleur, pas de morphine. Les injections intra musculaires sont très répandues et perçues comme plus efficaces.

Peut-être qu'une part est culturelle, après ces années de guerre puis Ebola?

On doit "être fort", ne pas montrer sa tristesse, ne pas pleurer, dès le plus jeune âge.

Cette question risque d’être plus délicate à travailler...

 

3. la prescription de nombreux médicaments, antibiotiques ++

S'il y a bien une classe de médicaments jamais en rupture, ce sont bien les antibiotiques. Et bien plus que ceux dont j'ai l'habitude (chez l'enfant), sous forme de sirop ou orodispersible. J'ai dû revoir les molécules sur internet car je ne savais plus les utiliser. Sur les protocoles, il y a 5 ou 6 propositions selon les disponibilités ou allergies (très rares). C'est vrai que lorsque l'on ne sait pas trop le diagnostic (pas de marqueur de l'inflammation, pas de culture), c'est plus efficace de mettre tous les antibiotiques, les anti mycosique et les vitamines. Si je ne prescris qu'un seul antibiotique et des lavages de nez pour une otite, on va dire que je suis un mauvais médecin...

Une partie du bénéfice du centre se fait sur la revente des médicaments.

Et la ville regorge de "drugstores" où l'on peut acheter sans ordonnance tous les antibiotiques à bas prix, ceux que j'ai oubliés. Les vendeurs sont rarement des professionnels de santé, et les médicaments possiblement frelatés. Donc en plus de convaincre les professionnels du danger de l’émergence de bactéries résistantes, je dois convaincre les patients.

D'un autre côté, les conditions d'hygiène font que les surinfections sont fréquentes. Certains patients viennent de loin; en durée plutôt qu'en km: 4h de trajet est fréquent. Donc pas facile de les faire revenir à 48h "si l'enfant ne s'améliore pas". Pas l'idéal non plus de leur prescrire l'antibiotique "si l'enfant fait encore de la fièvre à 48h", avec le risque que le médicament soit revendu ou donné à un frère cadet au mauvais dosage ou mauvaise indication.

Donc je suis encore en cours de réflexion pour optimiser les prescriptions, pour ne pas être délétère dans ce contexte qui n'est pas le mien.

 

Je m’arrête là pour aujourd'hui et laisse la place à Bruno.

 

Le projet de Bruno: concevoir et programmer une extension du centre de santé

 

J'étais venu en mars pour commencer la réflexion du nouveau centre de santé mais le travail sur le terrain a commencé plus tard. Les enfants sont restés à la maison jusqu'au 14 septembre, date de la rentrée scolaire.

Mes matinées se passent dans la véranda de notre maison à lire les normes et bonnes pratiques de l’OMS puis à dessiner. Mes enfants trouvent que certains aspects sont « beurk » oui c’est vrai que la gestion des eaux usées n’est pas la lecture la plus sympa. Je ne pensais pas non plus me pencher un jour sur la conception d'une morgue. Mais tout cela sera bien utile.

 

A partir de 14h je m'occupe de l’école à la maison (CNED) pour les enfants et les journées sont courtes. la vie quotidienne est assez chronophage, pas de lave vaisselle, pas de robot ménager et cuisine sur des produits de base bruts et sales...

 

Le centre de santé est public. Toutes modifications doivent être validées par les autorités de santé; ce qui prend un certain temps surtout en période électorale.

Le plan prend quand même tournure et j’espère que nous pourrons rapidement commencer la construction.

 

Je dois m'adapter à la façon de travailler locale; assez loin de mes habitudes françaises. Il n’y a pas de machine et le travail se fait à la main. Même en cherchant à limiter, il y aura quand même 600 tonnes de terre à bouger pour les fondations. Rien que d'y penser cela me fatigue et pourtant ce n'est pas moi qui vais le faire. Notre maître d’œuvre local ne semble pas effrayé par ce travail et trouve même qu'il est préférable de faire travailler des personnes qui pourront nourrir leurs familles plutôt que d'utiliser de l'essence d'importation et des machines qui n'apportent rien à la population.... comme quoi il est toujours bon d'essayer de voir les choses de façon différente!

 

J'ai commencé une mission parallèle : remettre en état le matériel et les locaux du centre de santé actuel. En effet beaucoup d'équipements sont en panne et les techniciens compétents sont à Monrovia... autant dire qu'ils ne viendront jamais.

Même les réparations simples deviennent compliquées faute d'outils et de pièces de rechanges. Ainsi nos deux microscopes "cassés" n'attendaient qu'un tournevis adéquat et une ampoule du bon voltage.... cela nous permet de voir enfin nos tributs de plasmodium responsables de la malaria et d’être plus pertinent dans la prise en charge.

 

Il reste 2 échographes à réparer, quelque balances, des tensiomètres, un morceau de charpente qui s’écroule, des lits qui boitent, des prises qui pendent.... de quoi occuper un autre volontaire à temps complet mais j'essaye plutôt de montrer comment faire à celui qui fait le ménage du centre. Il semble débrouillard, avec un peu de chance il saura faire rapidement à ma place.

 

De façon générale, nous devons être attentifs à garder un coût pour les patients raisonnables … au risque de ne pas les voir venir. Un soin avec un médicament représente 1,25 USD en moyenne ce qui est beaucoup pour un salaire moyen de 60$/mois. Il n'est pas rare de les voir refuser un transfert dans l’hôpital pour ne pas endetter durablement la famille. Et malheureusement encore moins rare de voir des patients qui ont attendu longtemps avant de se résoudre à payer une consultation... ils arrivent alors avec des problèmes bien installés et qui coûtent bien plus que le ticket moyen!

 

Un grand merci pour votre aide. Nous apprécions particulièrement de nous sentir soutenus par tant de monde.

 

N'hésitez pas à nous contacter si vous voulez en savoir plus, ou aller sur notre blog

 

missionauliberia.blogspot.com

carobrunow@gmail.com

 

Bien cordialement,

 

Caroline et Bruno Weulersse

Maxine, Thaïs, Jules et Malo

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